Il fut un temps où l’on aimait chanter la beauté d’une femme par les grâces de la poésie. Ce fut bien l’amour qui inspira cette
Guirlande de Julie, ensemble de poèmes emplis de galanterie. Fait notable, il s’agit dès l’origine d’une œuvre collective, fruit des efforts d’un amant (au sens du XVIIème siècle, un amoureux), le duc de Montausier, pour rassembler soixante-deux madrigaux écrits par ses amis poètes et lui-même. L’heureuse élue se nommait, vous l’avez deviné, Julie. Elle était fille d’une des célébrités de l’époque du roi Louis XIV, Mme de Rambouillet qui tenait un salon précieux très couru.
Les auteurs qui participèrent à ce recueil sont aujourd’hui peu connus. A l’époque, ils constituaient la fine fleur de la poésie. On peut citer Antoine Arnauld, Arnauld d'Andilly, Arnauld de Briotte marquis de Pomponne, Chapelain, Colletet, Conrart, Corbeville, Desmarets de Saint-Sorlin, l'abbé Habert, le capitaine Habert, Malleville, Martin, Monmort, Racan, G. Scudéry, et Tallemant des Réaux. On dit que Corneille a prêté sa plume à l’entreprise. Rien n’est moins sûr. La mise au point du recueil exigea plusieurs années, ce qui, à notre époque, est inconcevable. Mais en ces temps de préciosité, le temps ne comptait pas. La patience de l’amant attestait de la profondeur de son sentiment.
Ils furent donc en tout vingt-quatre poètes de l'époque à collaborer à la réalisation du livre pour soixante-deux madrigaux, un ouvrage orné de fleurs et de guirlandes peintes par Nicolas Robert. Certains de ces madrigaux sont très courts. D’autres sont plus longs. Ils clament tous les louanges de Julie, idéalisée comme il convient, de la plus galante façon. Rappelons la définition du madrigal : « Le madrigal est un poème de genre, court et sans forme fixe, de la poésie française classique. Généralement adressé à une femme, il a un tour galant ou tendre. Il peut être fondé sur un trait d'esprit, ce qui le rend proche de l'épigramme. Du XVIe au XVIIIe siècle, de nombreux auteurs se sont essayés à ces poèmes. » (Wikipédia)
Le 1er janvier 1634 fut porté à la Dame la pochette contenant les précieux poèmes. Le recueil n’a pas été imprimé mais calligraphié par un artiste de l’époque : Nicolas Jarry. Il convenait de ne pas multiplier ce qui devait rester unique, comme sa destinataire. La grande originalité de l’ouvrage réside dans ses peintures de fleurs. Montausier eut en effet l'idée de faire illustrer le volume. Il fut fait appel au miniaturiste Nicolas Robert. Le recueil est ainsi illustré de vingt-neuf fleurs, sans compter la guirlande initiale. Pour la reliure, il s'adressa à un artiste très renommé à l’époque et qui est encore connu aujourd’hui : Le Gascon.
Voici quelques madrigaux du recueil, illustré par des reproductions de fleurs issues de l’ouvrage :
Le Lys Devant vous je perds la victoire
Que ma blancheur me fit donner,
Et ne prétends plus d'autre gloire
Que celle de vous couronner.
Le ciel, par un bonheur insigne,
Fit choix de moi seul autrefois,
Comme de la fleur la plus digne
Pour faire présent à nos rois.
Mais si j'obtenais ma requête,
Mon sort serait plus glorieux
D'être monté sur votre tête
Que d'être descendu des cieux.
La RoseAssise en majesté sur un trône d'épines,
Je porte le sceptre des fleurs,
Qui cèdent à l'éclat de mes grâces divines,
Quand l'aurore au matin m'arrose de ses pleurs ;
Mais, beauté que le monde adore,
Et qui sais doucement ravir,
J'estime beaucoup plus l'honneur de vous servir
Que celui de régner dans l'empire de Flore.
L'AngéliqueQuand toutes les fleurs prennent place
Sur l'ivoire de votre front,
Il faut par raison que je fasse
Ce que par audace elles font ;
Et certes, si la voie publique
Me nomme partout Angélique,
Et me donne tant de renom,
Je réponds mal à ces louanges,
Et ne mérite plus mon nom,
Si Je ne couronne les anges.
La VioletteDe tant de fleurs par qui la France
Peut les yeux et l'âme ravir,
Une seule ne me devance
Au juste soin de te servir.
Que si la rose en son partage
Fait gloire de quelque avantage
Que le Ciel daigne lui donner,
Elle a tort d'en être plus fière,
J’ai l'honneur d'être la première
Qui naisse pour te couronner.
La Tulipe FlamboyantePermettez-moi, belle Julie,
De mêler mes vives couleurs
A celles de ces rares fleurs,
Dont votre tête est embellie :
Je porte le nom glorieux
Qu'on doit donner à vos beaux yeux.
Le SouciSi l'on vous donne un lys, un œillet, une rose,
Je vous veux présenter aussi
Un triste et languissant souci :
Le sort ne me laisse autre chose.
Je souffre une telle douleur
De vous offrir la moindre fleur,
Qu'on verra dans votre couronne
Que je deviens ce que je donne.
Annexe :La Revue des deux Mondes, juillet 1937, Pierre de Cossé-Brissac, "Au temps des Précieuses".
http://www.revuedesdeuxmondes.fr/article-revue/la-guirlande-de-julie/
La Guirlande de Julie, Wikipédia :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guirlande_de_Julie
L'œuvre complète sur
Gallica :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8451620k/f1.item
« La Préciosité », article de René Bray :
https://www.persee.fr/doc/caief_0571-5865_1951_num_1_1_1995