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 L'Art pour l'Art

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AnonymousInvité
Messagepar Invité : L'Art pour l'Art   L'Art pour l'Art EmptyDim 27 Mai - 17:29

L’Art pour l’Art
Les écrivains et le désengagement

L'Art pour l'Art 1525535115-1
Le symbole de la Tour d'Ivoire

          « Non, imbéciles, non, crétins et goitreux que vous êtes, un livre ne fait pas de la soupe à la gélatine ; un roman n’est pas une paire de bottes sans couture ; un sonnet, une seringue à jet continu ; un drame n’est pas un chemin de fer, toutes choses essentiellement civilisantes, et faisant marcher l’humanité dans la voie du progrès. De par les boyaux de tous les papes passés, présents et futurs, non et deux cent mille fois non.

           On ne se fait pas un bonnet de coton d’une métonymie, on ne chausse pas une comparaison en guise de pantoufle ; on ne se peut servir d’une antithèse pour parapluie ; malheureusement, on ne saurait se plaquer sur le ventre quelques rimes bariolées en manière de gilet. »

           Cette déclaration fracassante de Théophile Gautier (1811-1872), publiée en 1835 dans la Préface de son roman Mademoiselle de Maupin, exprimait ses idées en faveur de la théorie de « l'Art pour l'Art ». L’écrivain et poète précisa quelques lignes plus loin sa pensée :

           « Rien de ce qui est beau n’est indispensable à la vie.  On supprimerait les fleurs, le monde n’en souffrirait pas matériellement ; qui voudrait cependant qu’il n’y eût plus de fleurs ? Je renoncerais plutôt aux pommes de terre qu’aux roses, et je crois qu’il n’y a qu’un utilitaire au monde capable d’arracher une plate-bande de tulipes pour y planter des choux.

           À quoi sert la beauté des femmes ? Pourvu qu’une femme soit médicalement bien conformée, en état de faire des enfants, elle sera toujours assez bonne pour des économistes. À quoi bon la musique ? à quoi bon la peinture ? Qui aurait la folie de préférer Mozart à M. Carrel, et Michel-Ange à l’inventeur de la moutarde blanche ?

           Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c’est l’expression de quelque besoin, et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. — L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines. Moi, n’en déplaise à ces messieurs, je suis de ceux pour qui le superflu est le nécessaire, — et j’aime mieux les choses et les gens en raison inverse des services qu’ils me rendent. »

           Ce fut en fait Benjamin Constant qui lança, très tôt dans le siècle, en 1804, l’expression devenue célèbre de « l’Art pour l’Art ». Elle devint synonyme du désengagement des artistes et des écrivains de la vie publique et des combats politiques. Le poète, l’écrivain devaient, pour eux, rester à l’écart de la société des hommes. A aucun moment, leur plume ne devait se mettre au service d’une cause, quelle qu’elle soit.  Ils étaient aux antipodes des conceptions utilitaristes et matérialistes chères au XIXème siècle.

           La période romantique était alors à son apogée mais certains artistes ne se voyaient pas comme vibrants à tous les souffles de leur temps. Ils se voulaient des esthètes détachés, épris seulement d’un Beau idéal et éternel, qui était pour eux la perfection. Théophile Gautier et ses partisans prônaient un travail lent et patient sur la forme, un retour aux sujets antiques. T. Gautier proposa d’ailleurs un poème-manifeste illustrant sa conception de l’art :

L'Art

L'Art pour l'Art 1525535119-2
Théophile Gautier

Oui, l'œuvre sort plus belle
D'une forme au travail
Rebelle,
Vers, marbre, onyx, émail.

Point de contraintes fausses !
Mais que pour marcher droit
Tu chausses,
Muse, un cothurne étroit.

Fi du rythme commode,
Comme un soulier trop grand,
Du mode
Que tout pied quitte et prend !

Statuaire, repousse
L'argile que pétrit
Le pouce
Quand flotte ailleurs l'esprit :

Lutte avec le carrare,
Avec le paros dur
Et rare,
Gardiens du contour pur ; [...]

Tout passe. - L'art robuste
Seul a l'éternité.
Le buste
Survit à la cité.

           De nombreuses artistes suivirent le mouvement initié en grande partie par Théophile Gautier. Le groupe de poètes constitué autour de la revue Le Parnasse contemporain affirma vers 1866 le primat de la forme sur le fond également. On les appela les Parnassiens. Le représentant le plus célèbre de ce cénacle fut Leconte de Lisle (1818-1894). Son sonnet « Les Montreurs » fut révélateur de ses choix en matière esthétique :

Les Montreurs

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Leconte de Lisle

Tel qu'un morne animal, meurtri, plein de poussière,
La chaîne au cou, hurlant au chaud soleil d'été,
Promène qui voudra son cœur ensanglanté
Sur ton pavé cynique, ô plèbe carnassière !

Pour mettre un feu stérile en ton œil hébété,
Pour mendier ton rire ou ta pitié grossière,
Déchire qui voudra la robe de lumière
De la pudeur divine et de la volupté.

Dans mon orgueil muet, dans ma tombe sans gloire,
Dussé-je m'engloutir pour l'éternité noire,
Je ne te vendrai pas mon ivresse ou mon mal,

Je ne livrerai pas ma vie à tes huées,
Je ne danserai pas sur ton tréteau banal
Avec tes histrions et tes prostituées.

           La plume du Poète se voulait indépendante et fière, elle détestait la vulgarité et les plaisirs faciles. La forme était exigeante, l’inspiration puisée dans la mythologie ou l’histoire ancienne. Un autre poète fameux appartenant à cette mouvance artistique fut José-Maria de Heredia (1842-1905). Dans son poème « La Conque », il réaffirma sa distance avec le monde et son orgueilleuse solitude de poète :

La Conque

L'Art pour l'Art 1525535120-4
José-Maria de Heredia

Par quels froids Océans, depuis combien d'hivers,
- Qui le saura jamais, Conque frêle et nacrée ! -
La houle sous-marine et les raz de marée
T'ont-ils roulée au creux de leurs abîmes verts ?

Aujourd'hui, sous le ciel, loin des reflux amers,
Tu t'es fait un doux lit de l'arène dorée.
Mais ton espoir est vain. Longue et désespérée,
En toi gémit toujours la grande voix des mers.

Mon âme est devenue une prison sonore :
Et comme en tes replis pleure et soupire encore
La plainte du refrain de l'ancienne clameur ;

Ainsi du plus profond de ce cœur trop plein d'Elle,
Sourde, lente, insensible et pourtant éternelle,
Gronde en moi l'orageuse et lointaine rumeur.

           Plus avant dans le siècle, Baudelaire (1821-1867), partisan convaincu de l’indépendance totale de l’art et admirateur de Théophile Gautier, à qui il dédia ses Fleurs du Mal, exprima son amour d’une Beauté pure et formelle dans un poème célèbre :

La Beauté

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Charles Baudelaire

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;
J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études ;

Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !

           Certains artistes étaient ainsi réfractaires à l’utilitarisme en vogue au XIXème siècle et à ce qui l’accompagnait : le Progrès, prenant de cette façon leurs distances avec leurs contemporains. Pendant cette période, les nouveautés fleurissaient tous les jours, et cela, dans tous les secteurs de la société. Les transports se modernisaient, les techniques évoluaient, les matériaux de construction changeaient. C’était le temps de la Révolution industrielle. Les technologies firent à ce moment un bond immense en avant. Toutes ces nouveautés enthousiasmaient les foules.

           Mentionnons quelques-uns de ces progrès ; apparurent au XIXème siècle la bicyclette, le téléphone, le télégraphe, le phonographe, l’ampoule électrique, la photographie et le cinématographe, la télégraphie sans fil, ancêtre de la radio. Les premiers vaccins et les microbes furent découverts, ainsi que le radium. Ces innovations allaient construire le monde moderne. La société changeait, les valeurs évoluaient et les villes elles-mêmes se modifiaient. Certains résistaient à la grande vague du Progrès. Comme l’avait noté Baudelaire dans ses Fleurs du Mal, pour le déplorer :

Paris change ! mais rien dans ma mélancolie
N'a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.


FIN


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